" Il est temps sans doute de redonner son sens et sa vérité à la notion d'engagement, élaborée par Mounier aux environs de 1930 et dont risque de s'écarter toute une partie de la jeunesse, faute de la bien entendre. Il est vrai que le directeur d'Esprit a peu à peu édifié sa philosophie au contact de l'événement, il est vrai que, quoique à la fois mystique et ré- aliste de tempérament, il s'est de plus en plus intéressé à la
politique et a créé dans sa revue la chronique de la pensée engagée - aussi bien d'ailleurs dans la vie privée que dans la vie publique. Mais toujours il a jugé ses engagements, res- tant libre dans l'action et réunissant en lui, comme le de- mandait Rauh, le double caractère du savant et du militant.
La philosophie n'était pour Mounier ni la construction d'un système abstrait ni la justification après coup de ce qui a été, mais la transformation par l'esprit de l'événement en expérience. Il n'y avait pas plus pour lui de penseur hors de la communauté des hommes que de chrétien hors de l'Église. Ce qui n'exclut pas, ce qui inclut au contraire la dis- tance et le recul dans l'engagement même, l'attention et la présence jusque dans le dégagement. Le rythme de la vie personnelle est fait d'un temps de dégagement réflexif et d'un autre temps d'engagement communautaire. Si le Christ n'est pas venu parmi les concepts, mais parmi les hommes, il faut en conclure que l'incarnation a des conséquences pour la pensée elle-même. Ainsi ce terme d'engagement, utilisé par polémique contre ceux pour qui le monde n'est qu'un spectacle, reste-t-il ambigu. Dans son Traité du caractère, Mounier a élaboré une conception de la pensée engagée- dégagée, qui prenait la suite de tout ce qu'il y a de valable dans la philosophie classique, tout en rectifiant son attitude séparée et son excès de cérébralisme."